Mort et éducation dans L’islam

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Par / Imam Assane Seck

Spécialiste du droit islamique, Coranologue, Ecrivain,
Traducteur,
Directeur du Centre de l’Initiative Intellectuelle pour la
Traduction
et la Sensibilisation Islamique
Professeur d’arabe au Lycée de Diamniadio
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Au nom d’Allah, le Miséricordieux, le tout Miséricordieux
Louange à Allah du fait qu’il a créé la mort avant la vie pour éprouver ses esclaves et pour savoir qui d’eux est le meilleur en œuvre (Coran sourate 67 verset 2).

Et que la Bénédiction d’Allah et son salut soient sur tous les prophètes et surtout sur le dernier d’entre eux, Mouhamed, qui a fait de l’évocation de la mort un signe d’intelligence et de sagesse pour l’homme.

Chers lecteurs, sachez que l’évocation de la mort a une importance remarquable dans les différentes littératures et traditions d l’Islam, non seulement pour des desseins épistémologico-descriptifs mais surtout pour des desseins éducatifs, parce que cette évocation doit viser raisonnablement à honorer la mémoire de ceux qui sont déjà morts et à aviver celle de ceux qui doivent être conscients qu’ils le seront inéluctablement, tôt ou tard afin qu’ils emploient leurs capacités et leurs potentialités dont Allah les a dotés dans les actes les plus positifs, les plus utiles et les plus pieux avant que la mort ne vienne les happer et les soutirer aux leurs.

C’est cet aspect éducatif de la mort que notre prophète Mouhamed (PSL) mettait en exergue dans la réponse qu’il donna à quelqu’un qui lui avait demandé « quel est l’homme le plus intelligent ». L’homme le plus intelligent est, véritablement, celui qui dompte ses passions et qui œuvre pour ce qu’il y a après la mort. C’est qui explique l’importance du sujet que j’ai la lourde responsabilité de traiter aujourd’hui ; ce que je vais faire en deux points :

I. Mort, conceptions et rites selon l’Islam
II. Mort et éducation dans l’Islam
Chers lecteurs, s’il est concrètement admis que la mort constitue une vérité indiscutable vers laquelle convergent toutes les créatures, humaines ou pas, il n’en demeure pas moins que les cultures, les philosophies et les religions divergent énormément quant à la conception qu’il faut donner à la mort et quant à la manière de conduire les rites et cérémonies qui doivent l’accompagner.

Pour les matérialistes, la mort est une extinction parfaite et un anéantissement total. Sans aucun doute, pour les tenants de cette conception, la mort doit être quelque chose de très tragique et de très catastrophique. Les « superstitieux » ont aussi leurs conceptions qui se manifestent et se prolongent à travers des rites compliqués, insensés, onéreux, voire tragiques, comme ce fut le cas des anciens habitants du Mexique qui enterraient leurs rois avec les bouffons qui les ont égayés de leur vivant. Il y a l’exemple d’autres nations où l’on enterrait les rois avec les denrées alimentaires ou avec des outils et des armes de guerre, parce que ces peuples croyaient que ces rois allaient continuer les mêmes activités qu’ils avaient de leur vivant.

Maintenant quelle est la conception que l’Islam donne à la mort ?

I. MORT, CONCEPTIONS ET RITES SELON L’ISLAM
Pour l’Islam, la mort n’est ni une extinction totale ni un anéantissement parfait, mais comme le disait l’Imam Mouhamad Ibnou Kaad El Khourazy : « selon nos doctes, la mort est une cessation de l’interférence de l’âme d’avec le corps et une séparation parfaite entre les deux, une substitution de situation et une mutation d’une demeure pour l’autre. »

La mort est causée par le retrait de l’âme qui est immortelle. Ce retrait est effectué par les anges. Le Coran (sourate 6, verset 61) nous dit : « nos messagers enlevèrent son âme sans aucune négligence. » L’Islam recommande de faire des rites simples et sobres pour le repos de l’âme du défunt avant de l’enterrer dans une tombe non construite et peu élevée.

L’Islam condamne toute exagération dans les aspects matériels ayant trait aux rites consacrés à la mort ; que ce soit pour le linceul ou que ce soit pour les tombes ou pour les cérémonies ou pour les obsèques, parce que pour l’Islam la vie après la mort est de nature spirituelle, si bien qu’il est absurde, voire mystificateur, d’exagérer les aspects matériels de ces rites. En effet, les exagérations dans ce domaine, d’où et de qui elles viennent, sont considérées comme absurdes et non islamiques. Le Prophète disait en ce qui concerne les linceuls qu’il ne fallait pas exagérer à leur sujet, car ils seront vite abîmés ; de même qu’il mettait sévèrement les musulmans en garde contre le fait d’exagérer en construisant les tombes.

Muslim rapporte que le Prophète avait dit cinq jours avant sa mort : « vos prédécesseurs avaient l’habitude de prendre comme lieu de culte les tombes de leurs Prophètes, je vous interdis de les suivre. » Dans un autre hadith rapporté par Abou Horeira, le Prophète dit : « ne faites pas de ma tombe un lieu de célébration. Priez pour moi et vos prières m’atteindront ou que vous soyez. »

C’est pour réduire à leurs plus simples expressions les cérémonies des condoléances que l’Islam recommande aux amis et aux voisins de préparer le repas à ceux qui viennent de perdre un des leurs. C’est pourquoi à la mort de Jaffar, il demanda que l’on préparât le repas à la famille du défunt, car les membres de la famille ont d’autres préoccupations. Pour l’Islam, la mort doit servir à « conscientiser » et à éduquer le croyant, non à les mystifier et à verser dans des absurdités. Comment la mort peut-elle servir à éduquer dans l’Islam ? C’est notre deuxième point

II. MORT ET EDUCATION DANS L’ISLAM
Chers lecteurs, l’évocation de la mort est présente dans, au moins, 163 versets dont voici quelques-uns :

  1. « Dis « la mort que vous fuyez va certes vous rencontrer ; ensuite vous serez ramené à celui qui connait parfaitement le monde invisible et le monde visible et qui vous informera alors de ce que vous faisiez » » (Coran sourate 62 verset 8)
  2. « Toute âme goutera à la mort. Mais c’est seulement au jour de la résurrection que vous recevrez votre entière rétribution. Quiconque donc est écarté du feu et introduit au paradis a certes réussi. Et la vie présente n’est qu’un objet de jouissance trompeuse » (Coran Sourate 3 verset 185)
  3. « Dis : « l’ange de la mort qui est chargé de vous, vous fera mourir. Ensuite vous serez ramenés vers votre Seigneur » » (Coran sourate 32 verset 11)
    Nous trouverons la même « exubérance » de l’évocation de la mort dans les hadits du
    Prophète Mouhamad (PSL). Nous n’en citerons que deux. Le premier dans lequel il dit : « évoquez beaucoup la mort qui détruit les jouissances » ; et le deuxième où il montre la vulnérabilité de l’homme devant les dangers de la mort en disant : « comme si l’homme était entouré de 99 causes mortelles ! S’il en échappe, il va tomber dans la vieillesse. »

Cette abondante évocation de la mort en Islam vise à combattre les passions, les jouissances pour qu’elles ne corrompent pas l’homme et ne s’interposent pas entre son cœur et son corps. Le fait de vivre les exigences de la foi et de la piété dans les différentes circonstances de la vie chasse l’orgueil, la vanité et l’infatuation qui ne doivent pas habiter l’homme vivant dans la vulnérabilité devant les dangers de la mort qui peuvent le surprendre pour le prendre à tout instant.

Les musulmans qui étaient imprégnées de cette culture avaient érigés de véritables écoles de pensée éducatives basées sur la mort. Nous avons, en dissertant à bâton rompu rendre compte de quelques-unes d’entre elles en commençant par les compagnons du Prophète Mouhamed (PSL).

Le Prophète demanda un jour à l’un d’entre eux du nom de Haritha :

  • « Haritha, comment passes-tu ta journée »
  • « Je la passe comme un vrai croyant »
    Le Prophète lui dit :
  • « Chaque parole doit être vérifié pour être acceptée. Qu’est- ce qui prouve la véracité de tes propos ? »
  • Je m’impose la soif en jeunant pendant la journée et je m’empêche de dormir en priant pendant la nuit et je sens l’au-delà comme si je voyais en permanence les gens du paradis se rendre visite les uns aux autres et les gens de l’enfer poussant des cris de tristesse
    Le Prophète acheva la conversation en lui disant :
  • O Hatitha ces vérités suffisent à un homme pour que son cœur soit éclairé par la lumière de la foi
    C’est cette foi en la nécessité de s’éduquer et d’éduquer par le rappel de la mort qu’Aboubacar As-Sadikh résumait dans une belle phrase qui suffit à elle seule à « catalyser » de profondes pensées sur la mort. Voici cette phrase : « préparez-vous constamment à la mort pour vivre convenablement. »

C’est cette préparation permanente à la mort qui avait rendu cette dernière familière à Ouzeifa. Ce qui fait qu’en rendant son âme, on l’entendit dire : « un ami [la mort] qui est venue après une longue attente malheur à celui qui regrette la visite de la mort. O mon
Seigneur si tu sais que la pauvreté (choisie) m’était préférable à la richesse et que la souffrance corporelle m’était préférable à une santé de fer dépensée dans des futilités et que la mort pour te rencontrer m’était préférable à la vie, facilite-moi la mort et fasse que mon âme sorte dans la tranquillité. C’est cette tranquillité de l’âme à cet instant de la mort qu’Abou Daarda souhaitait aux gens de Damas qu’il sermonnait sur la mort en leur disant : « ô gens de Damas qu’avez-vous à ne pas écouter les conseils d’un frère qui vous aime ? Ceux qui vous ont précédés ont amassé d’immenses richesses et bâti des bâtiments somptueux et leur espoir est allé très loin mais leurs richesses avaient fini par périr, leurs bâtiments somptueux par tomber en tombeaux et en lieux délabrés et leurs espoirs en illusions. O gens de Damas, je trouve dans le cœur un mal qui n’a pas de remède. Je trouve dans le cœur une cruauté et un espoir démesuré et je me suis dit : »il faut jeter un coup d’œil sur les tombes et assister au spectacle de la mort ». C’est cet état de la tombe qui avait obnubilé et obsédé la pensée pieuse d’Omar Ibnou Abdoul Aziz. L’un de ses proches qui s’appelle Mouhamed Ibnou Kaab raconte :

  • Après être désigné comme le prince des croyants, titre comparable à celui de président de la République, il envoya m’appeler une fois devant lui, je le regardais fixement, ce qui le poussa à me dire :
  • « ô Mouhamad Ibnou Kaab, pourquoi me regarder de cette façon dont tu n’en avais pas l’habitude ? »
    Je lui répondis :
  • Parce que ton état m’étonne beaucoup
  • Mais qu’est ce qui t’étonne dans mon état ?
  • Je trouve ta peau tellement ternie, ton corps affaibli et tes cheveux ébouriffés.
  • Comment sera donc ton étonnement si tu me voyais trois jours après que l’on m’ait enroulé dans la fosse, quand le contenu de mes pupilles commencera à couler sur mes joues et quand la chair intense de mon nez se transformera en une sorte de liquide perfide où vers et pus ferons bon ménage ?
    Cette pensée profonde sur la mort avait une influence de haute portée civique sur ce prince pieux. Ce que les dirigeants qui dilapident les deniers publics doivent méditer. Un jour, le prince des croyants alla trouver sa femme pour lui demander de lui prêter un dirham pour acheter du raisin. Sa femme lui posa cette question : « comment se fait-il, qu’en tant que prince des croyants, tu n’utilises pas tes fonds pour acheter le raisin dont tu as besoin ? »

Son mari, le « Président » ascète et pieux lui répondit : « il est beaucoup plus facile pour moi, de vivre comme ça que d’être ligoté et enchaîné après la mort dans le Feu du fait d’avoir dilapidé les deniers publics. »

C’est cette austérité qu’il s’imposa à lui-même et à sa famille avant de l’imposer aux autres. Cette austérité avait facilité son programme de réduction stratégique de la pauvreté en un temps record, à tel point qu’il était devenu rare de voir un pauvre demander de l’aumône ou de la zakat. Ce fin gestionnaire, profondément imprégné par le rappel de ma mort, put employer les avoirs de la zakat pour contribuer aux frais de mariage des célibataires et au paiement des dettes des endettés et à la construction de maisons à ceux qui n’en avaient pas.

Chers lecteurs, nous avons été obligés de ne citer que trois versets coraniques sur 163 de même que nous nous trouvons obligés de nous arrêter alors que nous sommes loin d’épuiser ce point.

En guise de conclusion, nous avons vu que l’évocation de la mort est abondamment présente dans les différentes références de l’Islam, d’abord, pour rappeler à l’homme que son corps n’est qu’un ensemble de faisceaux d’origine corporelle dont l’aboutissement final est de tomber dans la tombe ; ensuite, pour développer la personnalité de l’homme durant sa vie terrestre dans les actes les plus positives et les plus pieux afin que son âme immortelle et impérissable récolte les résultats de ses actes dans la tombe qui est la première station de l’haut-delà avant d’être ressuscité pour enfiler une autre enveloppe corporelle dans le paradis ou en enfer selon ses actions et sa foi.

Que Dieu nous fasse mener une vie ici-bas positive et pieuse qui nous assurera, dans l’authenticité de l’enseignement de tous les prophètes, incarnée dans l’Islam, une saine évolution vers un haut-delà merveilleusement heureux.

Bonne lecture !

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