Forum Danemark/UNESCO à Rabat : Médias, science et influenceurs au cœur de la gouvernance environnementale des réserves de biosphère

0

Par Mohammed Tafraouti

Il y a deux jours à Rabat, un forum important s’est tenu dans un contexte régional et international critique, alors que les réserves de biosphère, ces espaces vivants d’expérimentation environnementale et de développement,  sont confrontées à des défis croissants dus au changement climatique, à l’érosion de la biodiversité et à l’aggravation des crises de pollution. Ce qui a marqué ce forum, organisé par le Danemark en collaboration avec l’UNESCO, c’est l’exploration approfondie du rôle des acteurs non traditionnels dans la gouvernance environnementale, en particulier les chercheurs scientifiques, les journalistes et les créateurs de contenus numériques.

Rôles clés dans la gestion durable

L’une des principales conclusions du forum est que la gestion efficace des réserves de biosphère ne peut plus reposer uniquement sur des dimensions environnementales et institutionnelles. Elle nécessite désormais un partenariat entre connaissance et communication, combinant la production de savoirs scientifiques, l’élaboration de messages environnementaux, et la formation de l’opinion publique.

Les chercheurs produisent des données, les journalistes les traduisent en récits accessibles, et les influenceurs les reconditionnent en formats interactifs qui rapprochent les citoyens des enjeux environnementaux.

Cependant, les participants ont souligné que cette intégration reste limitée et se fait souvent à travers des initiatives individuelles ou ponctuelles, sans continuité ni méthodologie claire.

D’un effort isolé à une approche systémique

Malgré quelques exemples réussis de couverture médiatique et de collaboration entre scientifiques et journalistes, la plupart restent des efforts personnels isolés ou des expériences à petite échelle. D’où l’urgence d’une approche systémique institutionnalisant la relation entre médias environnementaux et recherche scientifique.

Il est nécessaire d’établir des passerelles claires de collaboration entre les journalistes et le réseau MAB (L’Homme et la Biosphère) de l’UNESCO, tout en encourageant les gestionnaires des réserves à développer des outils de communication scientifique efficaces à destination des médias et du grand public.

Des outils concrets pour activer le partenariat science–média

Pour réussir ce changement, le forum a proposé plusieurs interventions concrètes afin d’institutionnaliser la coopération entre chercheurs et professionnels des médias. Parmi elles.

 la production de manuels de formation pour les journalistes sur la biodiversité, le changement climatique et la conservation, l’intégration de ces thématiques dans les cursus académiques et professionnels en journalisme,  l’accès facilité aux études documentaires et rapports scientifiques, adaptés aux besoins des médias,  l’usage des activités de suivi environnemental comme sources riches pour des reportages de terrain,

l’organisation d’ateliers pratiques dans les réserves réunissant journalistes, chercheurs et influenceurs pour construire des partenariats opérationnels.

Une meilleure compréhension des réserves : de la conservation à l’expérimentation communautaire

Les discussions du forum ont révélé qu’une compréhension encore superficielle, voire erronée,  des réserves de biosphère persiste. Beaucoup les perçoivent encore comme des zones fermées dédiées uniquement à la protection de la faune et de la flore. Or, le principe fondamental est d’intégrer l’humain à la nature, et non de les séparer.

Les réserves de biosphère visent à protéger la biodiversité tout en favorisant un développement durable, à encourager l’innovation locale dans les modes de vie et de production, et à promouvoir l’éducation et l’apprentissage par l’expérimentation environnementale et sociale.

Ce concept complexe appelle à construire des passerelles de connaissance entre scientifiques et journalistes afin de transmettre cette vision au public et transformer les perceptions courantes.

L’humain au cœur du récit environnemental

Un des points de consensus du forum est l’importance de commencer par l’histoire humaine lorsqu’on aborde les questions de réserves de biosphère. Comment une réserve affecte-t-elle les moyens de subsistance locaux ? Comment aide-t-elle à préserver l’identité culturelle ? Comment améliore-t-elle l’économie locale ou change-t-elle le rapport des populations à la terre, à l’eau, aux forêts ?

Ces interrogations sont au cœur d’un nouveau récit environnemental qui dépasse les chiffres pour placer l’humain au centre, transformant les préoccupations écologiques en enjeux sociaux porteurs d’empathie et de responsabilité partagée.

Le forum a proposé, pour cela, de lancer des projets de démonstration au sein des réserves, dédiés aux journalistes, afin de leur offrir une immersion et de les aider à construire des récits riches et multidimensionnels.

L’avenir des médias

 environnementaux : partenariat avec les influenceurs et créateurs de contenus

Parmi les idées innovantes évoquées, le forum a proposé de réinventer les médias environnementaux à l’ère numérique.

Le récit environnemental ne se limite plus aux articles ou rapports : il inclut désormais des vidéos courtes, des histoires visuelles, des blogs interactifs, et d’autres formats numériques variés.

Les influenceurs et créateurs de contenus numériques apparaissent ici comme de nouveaux alliés, en particulier pour toucher les jeunes, à travers des langages visuels et narratifs qui dépassent le journalisme classique.

Le forum a donc recommandé d’intégrer ces acteurs dans l’écosystème de la « connaissance d’intérêt public », non pas comme concurrents, mais comme partenaires.

Du journalisme de crise au journalisme de solutions

Le forum a plaidé pour un journalisme environnemental orienté vers les solutions, en alternative à une couverture axée sur les catastrophes, qui peut engendrer désespoir ou fatalisme.

Les réserves de biosphère ne fournissent pas seulement des données sur les menaces : elles offrent aussi des exemples concrets d’agriculture durable, de conservation communautaire, d’énergies renouvelables locales, d’économies sociales et d’innovations rurales.

Ce sont là autant d’histoires inspirantes à raconter, susceptibles d’influencer les politiques publiques et de susciter des vocations.

Réseaux organiques : de la centralisation à la collaboration partagée

À l’opposé des modèles hiérarchiques rigides, les participants ont proposé une vision fondée sur des réseaux organiques – des collaborations flexibles, sans domination centrale.

L’idée est de respecter l’unicité de chaque acteur, de promouvoir la complémentarité plutôt que la duplication, de partager ressources, récits et expériences, et de favoriser l’accumulation de connaissances et de communications.

Les relations entre journalistes, chercheurs et gestionnaires de réserves deviennent ainsi interactives et horizontales, produisant une connaissance collective au service du bien commun environnemental.

Vers un pont stratégique entre connaissance et impact

Le Forum de l’UNESCO à Rabat a représenté un moment unique de redéfinition des rôles des différents acteurs dans l’écosystème des réserves de biosphère.

Il a rompu avec la logique de séparation entre science et médias, ou entre recherche et communication, au profit d’un partenariat stratégique à plusieurs niveaux.

Dans ce nouveau cadre, le journaliste n’est plus un simple transmetteur de nouvelles, il devient un agent du changement. Le chercheur n’est plus isolé, il s’implique dans l’espace public. Et l’influenceur peut aujourd’hui devenir un pont essentiel entre savoir scientifique et influence sociale.

Construire ce pont, entre chercheur et journaliste, entre laboratoire et terrain, entre réserve et communauté, est désormais une urgence pour une gouvernance environnementale durable, équitable et centrée à la fois sur l’humain et la nature.

Entretien en marge du forum avec M. Antonio Abreu, Directeur de la Division des sciences écologiques et de la terre à l’UNESCO et Secrétaire du programme MAB :

Question 1 : Comment garantir la durabilité de la collaboration entre scientifiques, journalistes, auteurs et influenceurs environnementaux dans les réserves de biosphère de l’UNESCO, au-delà de ce forum ?

Réponse : Il est essentiel d’institutionnaliser les espaces de dialogue, de participation et de renforcement des capacités au sein de la communauté MAB. Trois voies sont prioritaires :

Mettre en place des plateformes permanentes d’échange de savoirs entre et au sein des réserves, permettant la co-construction de récits ancrés dans les réalités locales.

Renforcer la formation des journalistes, écrivains et influenceurs pour améliorer la qualité et la précision des contenus, tout en outillant les chercheurs à mieux communiquer.

Mobiliser les jeunes et les voix locales à travers le soutien aux conteurs communautaires, pour toucher un large public.

L’UNESCO joue ici un rôle catalyseur pour connecter les partenaires, favoriser l’apprentissage mutuel et généraliser ces initiatives à l’échelle mondiale.

Question 2 : Quelles sont les recommandations les plus concrètes à inclure dans le futur Plan stratégique MAB 2025–2035 ?

Réponse : Parmi les recommandations :

Soutenir l’innovation communautaire qui allie savoirs traditionnels et science moderne, pour des solutions fondées sur la nature. Reconnaître la communication scientifique et l’éducation environnementale comme fonctions clés des réserves, avec des ressources dédiées.Encourager la coopération Sud–Sud et triangulaire pour transférer et adapter les modèles réussis.Mettre en place des mécanismes clairs de suivi et de redevabilité des partenariats locaux. Cela permet au MAB d’être un vrai moteur de changement durable, en reliant cadre global et réalités locales.

Question 3 : Quelle est la capacité des bureaux de terrain de l’UNESCO, notamment en Afrique et dans le monde arabe, à appuyer les initiatives locales et renforcer la coopération multilatérale ?

Réponse : Les bureaux de terrain jouent un rôle clé pour traduire les visions globales en actions locales. Ils Facilitent des plateformes de collaboration entre communautés locales, gouvernements, société civile, chercheurs et médias ;Offrent un appui technique et des formations pour renforcer les initiatives locales et les essaimer ; Mènent des campagnes de plaidoyer adaptées aux contextes pour attirer les investissements dans les réserves. Grâce à des partenariats renforcés, les réserves de biosphère en Afrique et dans le monde arabe restent des phares d’espoir et de résilience face aux défis mondiaux.

Question 4 : Quelles sont vos impressions générales sur le forum ? A-t-il atteint ses objectifs ?

Réponse : Ce forum a été extrêmement fructueux. Il a renforcé la reconnaissance de l’importance de la communication – en particulier des médias – pour faire avancer le programme MAB et positionner les réserves comme lieux de conservation de la nature et de la biodiversité, piliers du développement socio-économique et de l’identité culturelle. Il a permis d’identifier des solutions concrètes pour renforcer l’engagement journalistique et contrer la désinformation sur le climat, la biodiversité, et les enjeux environnementaux. Ces solutions pourront être testées dans les réserves, avec le soutien scientifique et technique des programmes de l’UNESCO.

En somme, nous repartons avec une conviction renforcée et des propositions tangibles pour faire progresser le programme MAB et soutenir les réserves dans leur mission.

Leave A Reply