LA NON-VIOLENCE DANS L’ŒUVRE DE CHEIKH AHMADOU BAMBA

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Par le théologien bruxellois, Mouhameth Galaye

Ndiaye

La doctrine soufie de Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927) s’édifie sur une éthique rigoureuse de non-violence, solidement enracinée dans la spiritualité islamique. Face à l’expansion coloniale française en Afrique de l’Ouest, il adopta une voie de résistance pacifique, en rupture nette avec les formes de révolte armée courantes en son temps.
Sa non-violence ne relevait nullement de la passivité ; elle constituait une attitude pleinement active, fondée sur un principe qui lui était cher et qu’il nommait « khidma » (servisme). Ce principe reposait avant tout sur la soumission totale à Dieu, impliquant le refus de toute aliénation et de toute forme de domination injuste. Dans sa vision soufie, ce fondement s’articulait autour de trois axes spirituels majeurs : la patience (çabr), la confiance absolue en Dieu (tawakkul) et la lutte intérieure (mujāhadat an-nafs).
Plutôt que de recourir aux armes, Cheikh Ahmadou Bamba choisit d’éveiller les consciences, d’éduquer les âmes et de réformer les comportements. Il laissa une œuvre monumentale – poétique, mystique et théologique – à travers laquelle il forma des disciples profondément attachés à l’éthique du service désintéressé (khidma) et au travail comme voie d’élévation spirituelle.
Son exil au Gabon (1895-1902), imposé par les autorités coloniales françaises, devint le symbole majeur de sa résistance non violente. Loin d’affaiblir sa détermination, cette épreuve fut pour lui l’occasion de redoubler d’intensité spirituelle, transformant l’oppression en élévation intérieure, et l’épreuve en faveur.
J’ai eu l’honneur d’être le premier à théoriser la paix et la non-violence dans l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba, en soutenant pour la première fois – dans un travail académique en 2004 (publié officiellement en 2011) – la thèse selon laquelle il constitue l’un des plus grands apôtres de la non-violence de l’histoire humaine, dépassant, sous de nombreux aspects, des figures mondialement reconnues telles que Gandhi ou Martin Luther King. À partir de ce moment, la non-violence de ce soufi sénégalais commença à être progressivement reconnue dans les milieux intellectuels, qui ne voyaient jusque-là en lui qu’un mystique musulman du « continent noir », dont les écrits arabes seraient dépourvus d’originalité, et dont la résistance face à la colonisation ne serait qu’une simple passivité improductive. C’est oublier qu’il existe toute une littérature sur la paix et la non-violence produite par le fondateur de la Mourīdiyya, une littérature d’une richesse remarquable, à la fois mystique, éthique et intellectuelle, qui place Cheikh Ahmadou Bamba au rang des grands penseurs de la transformation pacifique des sociétés .

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