Sensibilisation et engagement : les initiatives politiques et citoyennes face au défi des déchets. 

 PAR 

          Abdou Lahad Gueye 

Le fléau des déchets au Sénégal suscite un consensus : il constitue un véritable « péril » pour le pays. À l’analyse de la situation, une typologie variée de déchets se dégage, mais les déchets plastiques se révèlent les plus nocifs et problématiques, tant dans leur gestion que dans leurs effets environnementaux et sanitaires. Les nombreuses mesures prises par l’État pour y remédier confirment l’ampleur du problème et la nécessité d’une action urgente.

L’intérêt de se pencher sur cette problématique est double. D’une part, politiques et citoyens multiplient les initiatives pour atténuer les effets négatifs des déchets. Dans cette lutte, l’État mobilise des outils juridiques, politiques et de coopération, tandis que les citoyens s’organisent, sensibilisent et développent des stratégies locales. D’autre part, avec l’émergence de nouvelles approches écologiques (économie circulaire, valorisation des déchets etc.), les déchets ne sont plus seulement une contrainte : ils deviennent une source d’activité et de revenus. Certains acteurs ont déjà saisi cette opportunité et s’imposent comme les pionniers d’un secteur en pleine expansion.

1- L’ampleur du fléau : un défi sanitaire, environnemental et social

Les déchets constituent un problème aux ramifications multiples, impactant les domaines sanitaire, environnemental, économique et social. Les statistiques sont alarmantes : en 2023, la production nationale de déchets était estimée à plus de 3 millions de tonnes par an, soit une moyenne de 0,522 kg par habitant et par jour. Cette croissance exponentielle pose la question de l’évolution fulgurante de la production de déchets, largement attribuable à l’urbanisation rapide et à l’expansion des centres urbains.

Au Sénégal, et particulièrement dans les villes, la quantité de déchets ne cesse d’augmenter. Une étude menée par l’Unité de Coordination de la Gestion des Déchets (UCG) en 2014-2015 révélait qu’un habitant de la région de Dakar générait en moyenne 171,82 kg de déchets par an. En 2020, avec une population estimée à 3 835 019 habitants, la région de Dakar aurait produit environ 659 000 tonnes de déchets.

La typologie des déchets est variée mais les déchets plastiques se révèlent particulièrement préoccupants en raison de leur gestion difficile et de leur impact durable sur l’environnement.

Type de déchets% de la production de déchetsVolume total (en tonnes)
Éléments fins  61,75%1 852 500
Plastique 10,25%307 500
Putrescibles 8,31%249 300
Textiles 4%120000
Incombustibles 4%120000
Autres déchets 11%330000

Source : D’après les données de l’UCG présentées par Oumar Cissé (ENDA Énergie)

Les conséquences des déchets sont multiples :

• Sanitaire : Pollution de l’air, de l’eau et des sols, augmentation des maladies respiratoires et infectieuses, prolifération des vecteurs pathogènes.

• Environnemental : Dégradation des écosystèmes, émissions de méthane contribuant au réchauffement climatique, menace sur la biodiversité.

• Social et économique : Exacerbation des inégalités, pression sur les infrastructures locales, exposition des travailleurs informels à des conditions précaires et dangereuses.

Face à ces défis, il est crucial d’adopter une gestion durable des déchets, en mettant l’accent sur :

• La réduction de la production de déchets à la source.

• L’amélioration des infrastructures de recyclage et de compostage.

• La sensibilisation et l’éducation environnementale.

• L’investissement dans des technologies propres et durables.

Une gestion efficace des déchets est essentielle pour préserver la santé publique, l’environnement et la cohésion sociale.

2- L’état et la gestion des ordures : politiques et limites 

Depuis l’indépendance du Sénégal, le rôle de l’État dans la gestion des déchets a évolué de manière significative. Initialement très impliqué, notamment avec des textes normatifs comme le décret de 1974, l’État a progressivement délégué cette responsabilité dans les années 1980 sous l’influence des politiques libérales imposées par les bailleurs internationaux, favorisant la privatisation du secteur.

Cependant, depuis la fin des années 2000, l’État a repris un rôle central avec le lancement de programmes majeurs :

• Le PNGD (Programme National de Gestion des Déchets, 2013) : visant une réforme institutionnelle pour une gestion plus efficace.

• Le PROMOGED (Projet de Promotion de la Gestion Intégrée et de l’Économie des Déchets solides, 2021) : financé en partie par la Banque mondiale, il ambitionne d’améliorer le traitement et la valorisation des déchets en impliquant davantage le secteur privé.

L’État, à travers l’UCG (Unité de Coordination de la Gestion des Déchets), devenue SONAGED (Société Nationale de Gestion des Déchets) en 2022, joue un rôle central dans la collecte et le traitement des déchets solides, notamment à Dakar et dans les grandes agglomérations. Créée en 2011, cette structure est responsable de la collecte, du transport, de la mise en décharge et du traitement des déchets. Toutefois, son action reste limitée aux zones urbaines accessibles, laissant des zones périurbaines et rurales confrontées à une gestion plus précaire.

Malgré les efforts entrepris, des insuffisances majeures persistent :

• Un cadre légal et réglementaire encore fragile : la faible application des sanctions et l’absence d’un référentiel national précis entravent l’efficacité des politiques publiques.

• Un manque de coordination entre les acteurs : plusieurs ministères (Environnement, Santé, Urbanisme) interviennent dans la gestion des déchets, mais la coopération avec les collectivités locales et les acteurs informels (comme les charretiers) reste insuffisante.

Une meilleure coordination interinstitutionnelle et un renforcement du cadre réglementaire sont essentiels pour assurer une gestion plus efficace et durable des déchets au Sénégal.

Sous un autre angle, les politiques de décentralisation, mises en place à travers le transfert de compétences, ont confié aux collectivités territoriales la charge de la gestion des déchets. Ainsi, les communes sont officiellement responsables de la collecte, du transport, de la mise en décharge et de la valorisation des déchets. Cependant, malgré cette responsabilité légale, les collectivités locales font face à de nombreuses contraintes : un manque de moyens financiers, des infrastructures et équipements inadaptés, un déficit de ressources humaines qualifiées. 

Malgré ces difficultés, certaines communes ne baissent pas les bras et tentent de compléter le travail de la SONAGED en mettant en place des initiatives locales.

Toutefois, pour rendre cette décentralisation réellement efficace, il est crucial de renforcer l’accompagnement de l’État, notamment à travers des financements adaptés, une meilleure coordination avec les acteurs locaux et une formation accrue du personnel municipal. Une coopération renforcée entre l’État, les collectivités et les citoyens apparaît ainsi comme une condition essentielle pour une gestion durable et efficace des déchets au Sénégal.

3- Les citoyens à l’assaut des ordures

Les populations sénégalaises entretiennent une relation ambivalente avec les déchets. Si leur élimination hors du domicile est perçue comme une nécessité, peu de citoyens se préoccupent réellement de leur devenir une fois évacués. Cette attitude s’inscrit dans le phénomène du « NIMBY » (« Not In My Backyard »), où les déchets sont simplement rejetés hors de la vue quotidienne, sans véritable stratégie de gestion durable. Cela entraîne une prolifération de dépôts sauvages, souvent installés de manière anarchique près des habitations ou dans des zones non aménagées, reflétant une mise à distance symbolique des ordures selon les représentations locales. 

Cependant, une prise de conscience citoyenne s’affirme progressivement. Historiquement, les citoyens sénégalais se sont toujours mobilisés pour l’assainissement de leur cadre de vie. Dans les années 1980, le mouvement « Set Setal » a émergé à l’initiative des Associations Sportives et Culturelles (ASC), qui organisaient régulièrement des opérations de nettoyage collectif. Certaines de ces ASC ont évolué en Groupements d’Intérêt Économique (GIE), afin de formaliser leurs activités dans la gestion des déchets et d’accéder à des financements pour des projets de valorisation.

Dans le même registre, de nombreuses ONG, en parfaite collaboration avec les populations locales, participent activement à cette mission d’intérêt général en initiant des campagnes de sensibilisation, de tri sélectif et de recyclage.

D’autres initiatives citoyennes plus récentes témoignent de cette prise de conscience grandissante :le « Cleaning Day », « Setal Suñu Réew »  ;Ces dynamiques montrent que, face aux limites de l’État et des collectivités locales, les citoyens prennent une part active dans la lutte contre l’insalubrité. Sur le plan local, il est aussi des activités à noter. A titre illustratif on peut mentionner les journées de Saalum-Recyclean, une entreprise sociale locale basée à Kaolack qui s’active dans le cadre de «la collecte et la valorisation des déchets plastiques».Toutefois, pour pérenniser ces actions, il est essentiel de renforcer l’éducation environnementale, structurer davantage ces initiatives et encourager leur soutien par des politiques publiques adaptées.

4- Les ordures, sources d’activité et de revenu

Les déchets, bien qu’étant un véritable péril national en raison de leurs effets néfastes sur l’environnement et la santé, représentent également une opportunité économique pour de nombreux jeunes entrepreneurs. Tout un secteur informel s’est structuré autour de leur collecte, tri et valorisation, offrant des emplois à des milliers de personnes. En parallèle, des GIE et des entrepreneurs innovants développent des solutions pour exploiter les déchets comme ressources économiques.

L’économie informelle joue un rôle fondamental dans la gestion des déchets au Sénégal, notamment à travers les charretiers, qui assurent la pré-collecte dans les quartiers non desservis par les services officiels. Ces acteurs, souvent issus du secteur artisanal, utilisent des charrettes à traction animale pour collecter les ordures tous les deux jours en échange de redevances mensuelles modestes (environ 1 000 FCFA par ménage). En plus de la collecte, ils revendent parfois des déchets recyclables (plastique, métal, carton) et proposent même des poubelles aux ménages. Cependant, malgré leur rôle essentiel, ces travailleurs font face à de nombreuses difficultés : Problèmes financiers, Contraintes organisationnelles, Image et reconnaissance sociale. 

Parallèlement, des entreprises privées commencent à investir ce secteur. Par exemple, la SAPCO (Société d’Aménagement et de Promotion des Côtes et Zones Touristiques du Sénégal) intervient dans les zones touristiques pour maintenir la propreté et préserver l’attractivité du pays. Toutefois, l’impact de ces entreprises reste limité, car elles ciblent principalement les zones à fort potentiel économique.

Avec l’émergence de nouvelles approches écologiques comme l’économie circulaire, le recyclage et la réutilisation prennent une place croissante. Plusieurs initiatives montrent que les déchets peuvent être transformés en ressources : recyclage des plastiques, compostage des déchets organiques, production d’énergie. 

Malgré son potentiel économique indéniable, le secteur de la gestion des déchets reste peu structuré et insuffisamment soutenu par les politiques publiques. Pour maximiser les opportunités qu’il offre, plusieurs actions sont nécessaires :

• Mise en place d’un cadre réglementaire clair pour encadrer l’activité des acteurs informels.

• Soutien aux entreprises locales engagées dans le recyclage et la valorisation.

• Sensibilisation et formation des citoyens pour favoriser une gestion durable des déchets dès la production.

• Encouragement des investissements dans les technologies de transformation des déchets.

Ainsi, bien que les déchets représentent un défi environnemental majeur, ils constituent également un levier de développement économique, capable de générer des emplois et de renforcer l’économie circulaire au Sénégal. La clé réside dans une meilleure organisation du secteur et un soutien accru aux initiatives locales.

Conclusion 

Aujourd’hui, l’urgence d’une action concertée entre les différents acteurs pour faire face au fléau des déchets ne fait plus débat. Il est impératif de prioriser la coopération entre les parties prenantes – État, collectivités territoriales, secteur privé et citoyens – afin d’éviter une gestion concurrentielle et inefficace des déchets. Dans cette optique, une réglementation plus claire et mieux appliquée apparaît comme une nécessité.

L’ampleur du phénomène est évidente, ses conséquences sur la santé publique, l’environnement et l’économie étant visibles et alarmantes. L’État, à travers des politiques et des programmes spécifiques, s’efforce de répondre au défi, tandis que les citoyens, par la sensibilisation et des actions concrètes, manifestent une prise de conscience croissante.

Toutefois, pour une gestion durable et efficace des déchets, l’éducation environnementale et la sensibilisation doivent être placées au cœur des stratégies nationales. Responsabiliser les citoyens est essentiel, car ils sont à la fois à l’origine des déchets et les premiers à en subir les conséquences. Une implication renforcée de tous permettra de transformer ce problème en une opportunité de développement durable et d’innovation socio-économique.